Publié bulletin n° 15. La hache est sans aucun doute l’outil préhistorique en pierre le plus familier. Elle est souvent découverte isolée, en dehors de tout contexte archéologique. Beaucoup d’entre nous en ont récolté dans les labours…Le profane n’a d’ailleurs aucun mal à en attribuer l’origine à l’Homme : sa forme symétrique trahit une intention, son tranchant témoigne d’une préparation méticuleuse, et son polissage (facultatif) demande une infinie patience.
Il est en revanche bien moins évident pour un profane qui tombe par hasard sur un éclat de silex de déterminer si celui-ci a une origine anthropique ou naturelle.
Et pourtant, ce sont bel et bien les éclats et autres déchets de production de la hache taillée en silex que l’on rencontre le plus souvent. Les sites de production de grandes lames (qui elles-mêmes seront ultérieurement transformées en outils) existent aussi dans la région, mais sont moins courants. Ces ateliers de production sont généralement à l’écart des sites d’habitat. En l’absence de moyen de datation (ni céramique ni reste organique), ils sont attribués par défaut à l’Artenacien (Néolithique final), la période la mieux représentée dans la région.
Une matière première de qualité
En toute logique, le risque de rencontrer les ateliers de taille du silex est maximal à proximité des gîtes de matière première. Or les sources d’une matière première de bonne qualité sont connues sur les marges ouest et sud du Villamblardais, dans un horizon calcaire remontant à la fin du Crétacé (Campanien supérieur et Maestrichtien).
Sous les dénominations de silex du Bergeracois et de silex du Mussidanais on reconnaît deux matériaux très recherchés durant des centaines de milliers d’années. Il s’agit d’un silex aux qualités remarquables : grain fin, texture homogène et teinte versicolore variant de l’ocre au gris.
En outre, au moment où les Néolithiques du centre et surtout du nord de la France creusaient des puits ou des fronts d’extraction pour accéder à la matière première, les Néolithiques de la région pouvaient se contenter de repérer les blocs de silex affleurant dans les argiles surmontant les calcaires.
Les ateliers de production de haches
L’industrie est représentée bien entendu par des préformes de haches (il va sans dire que les plus réussies sont parties avec leur auteur), parfois des ciseaux et plus rarement des tranchets, mais aussi par un outillage grossier souvent associé au dégagement et à la préparation des blocs de silex (principalement des pics, des pièces encochées et des racloirs).
Nous connaissons cette association typologique principalement par des récoltes de surface, dont certaines ont marqué les débuts de la Préhistoire en tant que science (l’abbé Audierne en signalait à la Fourtonie au milieu du XIXe siècle).
La sélection faite par les ramasseurs (orientée sur les belles pièces) ou la dispersion par les travaux agricoles (les sites néolithiques sont souvent peu enfouis) interdisent toute étude poussée de ces industries. La récolte exhaustive et parfaitement limitée dans l’espace permet notamment la compréhension des techniques de taille; étant donné que les habitudes techniques sont variables d’un groupe humain à l’autre, celles-ci nous déchiffrent directement les circulations et territoires humains à une période donnée.
Sans ignorer le site important de Laugerie à Coursac, nous reconnaissons deux territoires essentiels :
– au nord du Caudeau, avec les sites de la Fourtonie et de Maillol à Lamonzie-Montastruc, et de Crabefit à Saint-Martin-des-Combes ; apparemment, la forêt de Monclar livre encore régulièrement des silex néolithiques au gré des travaux du sol.
– aux abords de la Crempse, avec les sites des Arzens et de Fonmoure à Sourzac – mais aussi le plus intéressant découvert à ce jour, celui du Maillet à Bourgnac.
A cheval sur les communes de Bourgnac et des Lèches, ce dernier site a été découvert en août 2003, à l’occasion des sondages archéologiques préalables à la construction d’un échangeur de l’A89 aux Lèches . Aucune structure anthropique n’a été décelée, mais le matériel lithique mis au jour représente plusieurs centaines de kilogrammes. Outre les ébauches de hache et les éclats de façonnage qui en sont issus, on retrouve un outillage lourd à épaisse retouche semi-abrupte écailleuse à scalariforme, des éclats à front de grattoir et des pics. La plupart des ébauches de hache abandonnées sur place ont des dimensions relativement modestes, et beaucoup sont faites à partir d’éclats. Les éclats sont à l’unisson, avec une dimension plane maximale généralement comprise entre 8 et 12 cm.
Les ébauches avortées le sont toutes à un stade archaïque de façonnage. Sur les vingt-cinq spécimens récoltés lors du diagnostic archéologique, quatre sont au stade de test dit stade zéro et seize au stade un ; les autres ne sont pas plus que des préformes grossières. Les raisons de l’abandon sont variables, mais généralement en rapport avec une hétérogénéité de la matière ; seules quatre d’entre elles ont été abandonnées pour cause de cassure, et encore l’une d’elles a-t-elle fait l’objet d’une tentative de reprise.
Les ateliers de « livres de beurre »
En 1978, un déboisement accompagné de dessouchage a détruit un atelier de «livres de beurres » sur les berges de La Léotardie à La Combe (commune de Campsegret). Un atelier connu depuis 1973.
Nous reconnaissons sous la dénomination « livre de beurre » une préforme de silex, mais pas une préforme d’outil : il s’agit d’un nucléus (littéralement un noyau, c’est à dire d’un bloc-réserve de matière première) mis en forme de telle façon que l’on peut en tirer facilement de grandes lames. De face l’objet est sub-rectangulaire, de profil il est naviforme.
Outre les différents éclats et les quelques rares outils, quelques dizaines de ces livres de beurre ont été découvertes sur le site de La Combe. La moitié d’entre elles n’ont produit que deux lames. Techniquement, la pièce recherchée est une lame longue (15 à 20 centimètres) assez épaisse, régulière et rectiligne, à profil droit ; elle est suffisamment robuste pour supporter une transformation en poignard (c’est le cas général) par des retouches profondes et couvrantes.
L’originalité de ce site est sa position géographique, à l’extrême sud d’un phénomène culturel plutôt spécifique du centre-ouest de la France.
On voit souvent dans ces ateliers les premiers signes non périssables d’une activité économique à grande échelle : une fabrication massive et en série d’objets qui seront diffusés sur un grand territoire. Les lames du Grand-Pressigny, épicentre de ce phénomène culturel, ont en effet été retrouvées sur un territoire de plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés, des Pays-Bas à la Gascogne, de la Bretagne à la Suisse. En comparaison, les lames de La Combe n’ont fait que subvenir à un besoin régional, et encore de façon résiduelle puisque les poignards pressigniens sont courants dans le Sud-ouest.
Cette vision évolue maintenant de façon très sensible. On sait aujourd’hui que ces manufactures de silex existent depuis bien plus longtemps, 30 ou 40 millénaires sans doute sinon plus, et que l’épicentre de ce phénomène paléolithique est le Bergeracois. Les outils n’étaient ni des haches ni des poignards, mais les ateliers sont tout aussi riches en éclats, nucléus et autres déchets de taille. Les fouilles archéologiques en cours sur la future déviation de Bergerac le confirment de façon éclatante.
Christophe Fourloubey
Docteur d’Université en Préhistoire, INRAP & UMR 5808 du CNRS
Pour plus d’informations :
Jean et Geneviève Guichard, Daniel Laporte : «Découverte d’un atelier de « Livres de beurre » en Bergeracois », Actes du XLIIe Congrès d’Etudes Régionales de la Fédération Historique du Sud-Ouest, organisé par la Société Historique et Archéologique du Périgord à Bergerac (21 et 22 avril 1990). Bordeaux, 1992. pp.44-62.
Marie-Claire Cauvin : Les industries post-glaciaires du Périgord. Publications du Centre de Recherches d’Ecologie et de Préhistoire, Saint-André de Cruzières, 1971.