Publié dans le Bulletin n°28
La situation géographique de la seigneurie de Barrière, place Villamblard au centre du conflit religieux. La principale route reliant les deux plus importantes villes du Périgord, Périgueux (catholique) et Bergerac (protestante), passait alors par Villamblard et Grignols. Le voisinage immédiat reflétait également les antagonismes : La Force, Mussidan, Fournils et Longa protestants ; Issac et Sourzac, catholiques. Même si nous n’en avons pas de détails très précis la vallée de la Crempse et Villamblard furent le lieux de passage des troupes de l’un et l’autre partis.
Quelques événements relatifs aux querelles religieuses dans le Villamblardais
Les Jurades de Bergerac (comptes rendus du conseil municipal) de la seconde moitié du 16e siècle relatent les nombreux séjours dans la région d’Henri de Bourbon, futur Henri IV. Il est toujours appelé « le roi de Navarre », il est gouverneur et lieutenant-général de Guyenne. Il est donc parfaitement intégré dans la province et en particulier à Bergerac qui s’est converti à la nouvelle religion. La rue des conférences, la paix de Bergerac témoignent de ses passages. Michel de Lur, seigneur de Longa, Barrière et Roussille, lui rend hommage de même que la dame de Mussidan. Michel de Lur est en 1577 gouverneur de Bergerac pour le roi de Navarre.
Les Jurades nous apprennent aussi que Turenne installé au château de Barrière le 2 novembre 1587 y rédige une lettre aux consuls de Bergerac ; il y annonce que Grignols « est en la puissance du roi de Navarre » et qu’il se prépare à attaquer Sourzac. « Je vous prie de (…) donner des pionniers, des pics et des pelles, (…) et aussi, s’il y a quelques montagnes malaisées, (…) donner des bœufs, pour aider au dict canon. Ils ont bien du passer par Villamblard.
En 1589, on envoie depuis Longa un messager au château de Barrière pour voir quel chemin tenaient les Ligueurs.
La chanson du château de Villamblard témoigne d’une attaque par les catholiques de cette forteresse protestante. Rappelons que le terme protestant n’était pas utilisé, on parlait de la RPR, religion prétendue réformée. Certains pensent que la chanson est une légende, je n’en suis pas si sure. Elle raconte la chute de la tour « trois jours et trois nuits canonnée » et nous avons les devis de la reconstruction de cette tour en 1620. On y évoque aussi une belle comtesse qui pour échapper à ses poursuivants se jette dans le fossé plein d’eau et que les ennemis récupèrent en barque. Beaucoup y reconnaissent Anne de Lur. C’est peu probable. L’attaque du château date de 1591, Anne de Lur, jeune fille ne pouvait guère être appelée comtesse. Il s’agit plus vraisemblablement de sa mère Anne Raguier d’Esternay parente de Sully. Il n’y eu sûrement pas qu’une seule attaque du château. Sans doute son sort était-il lié à celui de Mussidan. Quand l’un ou l’autre parti reprenait la ville, il est probable qu’il cherchait aussi à s’emparer de Barrière et de Longua. On peut penser que le château fut assiégé et prit en 1569 par Montluc, et reprit par Clermont de Piles. Clermont de Piles sera exécuté à la Saint-Barthelemy et son petit-fils épousera une sœur d’Anne de Lur.
Des notes glanées au hasard dans certains actes montrent bien que l’état de guerre règnait à la fin du 16e siècle. Nous savons par exemple, qu’en 1569 le tuteur (catholique) du jeune seigneur de Montréal, Jean de Montardit, est obligé de quitter précipitamment le château car on annonce l’arrivée d’une troupe de protestants.
Les notables des environs, le régisseur de la chatellenie et deux notaires s’installent au château de Montréal avec des soldats « habitant par le présent temps de guerre au château ». Ils s’y sentent plus en sécurité que dans les villages. Un propriétaire près de Maziéras vend en 1585 son bien à des chefs de guerre catholiques (sans doute à bas prix) car les hommes du roi de Navarre s’y sont installés. Il se plaint aussi du fait que les routes sont tenues par ces mêmes réformés et qu’il ne peut donc pas s’y rendre. Un autre dit qu’il est impossible d’aller à Périgueux, la route étant elle aussi aux mains des réformés.
Quelques capitaines catholiques
On trouve trace dans certains actes notariés de l’existence de quelques capitaines catholiques. Seul Issac était resté catholique mais le jeune seigneur Hector de Pontbriand vivait chez son tuteur. La défense sur place s’organisa autour de quelques chefs de guerre. On connait un Mazières de Mazièras dit « capitaine Puissant », le capitaine Farcet qui fortifia Frontignac à Bourgnac, et François Bonnet qui organisa les garnisons de Montréal et de son château de Bonnet connu aujourd’hui sous le nom de Maupas.
Daniel de Taillefer et Anne de Lur, seigneur et dame de Barrière
C’est à partir de 1600 que des seigneurs réformés, s’installent durablement au château de Barrière. La chatellenie de Barrière-Villamblard appartenait aux seigneurs de Longua près de Mussidan : les Lur. Pour eux, le château de Villamblard n’était qu’une résidence occasionnelle. En décembre 1599 un contrat de mariage entre la fille aînée des Lur, Anne, avec Daniel Grimoard de Taillefer, fils des seigneurs de Mauriac, leur attribue en dot la terre et seigneurie de Barrière. Le mariage a lieu en février « en l’église de Dieu » (temple). Anne et Daniel s’installent à Villamblard.
Un temple à Villamblard
L’Edit de paix (1577) a autorisé l’installation de temples et rétablit les réformés dans leurs droits. Nous ne savons pas exactement où se trouvait le premier temple de Villamblard sinon qu’il était proche de l’entrée du château. Entrée qui se faisait au niveau de l’arrière de la halle actuelle En 1641 Anne de Lur et Pierre Chapellou échangent des maisons toutes deux près le temple du château. Plus précisément, le temple est bâti dans une partie de la maison Chapellou qu’Anne avait précédemment achetée. Avec cet échange Anne récupère la totalité du bâtiment.
Dans son testament de 1641, Anne de Lur précise qu’elle a achevé les travaux commencés par son mari et elle lègue au consistoire de la présente église, le temple qu’elle a fait bâtir « proche la porte et entrée de son château ».
Cependant, les temps changent, et Anne de Lur prévoit tout : dans le cas où ceux-ci viendraient à être interrompus dans l’exercice de leur religion, elle lègue le temple à son fils Charles resté protestant alors que l’aîné Jean est passé à la religion catholique.
L’église catholique
Le mot temple est utilisé indifféremment pour désigner un lieu de culte catholique ou protestant. Il n’est donc pas évident de discerner dans les textes de quel lieu de culte il s’agit.
Chantal Dauchez dans son ouvrage sur le château de Barrière décrit l’état de l’église de Villamblard, abandonnées en raison des guerres et du protestantime à la fois des seigneurs et des habitants. Depuis le milieu du 16e siècle l’église menace de s’écrouler .« Depuis vingt ou trente ans (écrit-on en 1585) le temple et église de la paroisse de Villamblard, à cause de son antiquité ou faute de bonnes fondations, les murailles étaient tombées, et par ce moyen, toute la voûte par trois fois dont les deux fois, les paroissiens l’auraient rhabillée à leur pouvoir et la troisième fois, à cause des troubles et guerres étant survenus en ce royaume, ils n’ont eu moyen ni puissance de la réédifier.
Les paroissiens ont donc restauré deux fois la voûte de l’église mais n’ont rien pu faire la troisième fois : à cause des grandes guerres et autres incommodités , et le si peu de zèle pour la religion catholique, apostolique et romaine. Le fait que l’église se trouvait alors dans la cour du château ne devait guère faciliter les choses. L’auteur villamblardais, Emmanuel Garraud, qui en a vu quelques vestiges vers 1852 lors du percement de la route au travers du château, écrit qu’elle était gothique. Au décès de Michel de Lur (1601), le père d’Anne, il n’y avait pas d’église à Villamblard. Il avait fait bâtir une chapelle dans laquelle se faisait le culte. Emmanuel Garraud parle d’une grange qui aurait servi d’église. Le contrat de mariage de Daniel de Taillefer avec Anne prévoyait qu’il déchargerait son beau-père de la promesse qu’il a faite aux habitants de la paroisse de Villamblard de leur bâtir une église. Il a donc l’obligation de rebâtir l’église considérant la vieillesse du temple de la paroisse, en totale ruine. Dès 1617 avec l’accord du conseil paroissial, il démolit les vestiges pour en faire les fortifications du château.
Avec l’accord de l’archiprêtre un terrain avait été choisi, loin du château, de l’autre côté du village mais au bout de la rue principale. Daniel de Taillefer achète le terrain, finance les travaux (3000 livres) et l’église est terminée en 1624. Il reste un bénitier de cette époque (voir Taillefer n°15 Chantal Dauchez Découverte dans le patrimoine villamblardais). Un acte retrace l’événement.
Le 19 septembre 1624, messire Daniel de Taillefer chevalier seigneur de Barrière, Longua, Saint-Louis, et vicomte de Roussille, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi (…) pour exécuter certaines closes conformément au contrat de mariage (…) il était requis de faire construire et édifier un temple pour les habitants de la paroisse de Villamblard, ce que ledit sgr a fait. Daniel de Taillefer, Pierre Destignols, docteur en théologie, François Gillet maître tailleur de pierre, Pierre Delors maître charpentier, Guillaume de Masgontier (… accompagnés d’homme de loi) ont fait visite des lieux. L’église est bien décrite, le clocher n’est pas terminé, mais l’archiprêtre Destignols s’en satisfait.
Esprit de tolérance
Les deux cultes ont été pratiqué à Villamblard, sans doute jusqu’à la révocation de l’Edit de Nantes. Si dans certains endroits du Périgord les conflits ont été violents entre les deux communautés, nous n’avons aucun exemple de ce type dans la juridiction. Nous ne parlons pas ici des chefs et des gens de guerre dont les exactions étaient toujours terribles mais de la population. A Mussidan les querelles étaient assez nombreuses ; on se moquait, on sonnait les cloches pendant le culte des autres afin qu’ils n’entendent rien; on démolissait les murs de cimetières et on allait en justice pour peu de choses. Les frères prêcheurs essayaient de faire abjurer les réformés. L’église Notre-Dame du Roc avait été détruite. Rien de tout cela n’apparaît dans les documents concernant la seigneurie de Barrière bien au contraire. Il y avait un pasteur au château et un prêtre au presbytère. Et comme on vient de le voir c’est le seigneur protestant qui avait fait construire l’église.
A l’exemple d’Henri IV, le sgr de Barrière s’était converti mais Anne resta fidèle à la religion réformée. Une partie de leurs nombreux enfants était catholique, l’autre protestante. Dans les registres paroissiaux on peut voir inscrit qu’une demoiselle de Taillefer est marraine lors d’un baptême catholique. Il est précisé alors qu’en raison de son appartenance à l’église réformée une autre personne a tenu l’enfant sur les fonts baptismaux à sa place.
Néanmoins, en 1638, à la mort de Daniel de Taillefer, le curé s’opposera à ce qu’il soit enterré dans le cimetière de la nouvelle église. Anne le fera ensevelir près du temple. Elle le rejoindra quelques années plus tard (1644). Leur fils Jean de Taillefer est vraiment catholique. Les moines fréquentent le château et doivent pour y entrer passer devant le temple. Craignant que ça ne finisse par entraîner des problèmes le consistoire souhaite éloigner le temple du château. Ironie du sort, Jean le seigneur catholique fera construire un temple ailleurs après avoir obtenu l’accord de son frère Charles de La Sauvetat resté fidèle, comme sa mère, à la religion réformée. Où fut-il bâti ? Nous l’ignorons. Il existait au Rouchou une parcelle de terre appelée « le cimetière des Huguenots ». On pourrait y voir un indice de l’emplacement du temple, mais cet endroit est bien proche de l’église…
Catherine Paoletti